Posons déjà le décors. Vieille baraque excentrée du centre ville de Rennes, le Mondo Bizarro, café concert à la programmation éclectique et de qualité, est un des lieux rennais incontournables pour tout amateur de musiques qui se respecte. Il faut cependant se motiver pour y aller, notamment pendant Bars en Trans. En effet, aller au Mondo prend un bon 25 minutes en bus. Il faut donc être sûr que ce qu’on va voir mérite de louper une palanquée de bons artistes présents dans les différents bars du centre ville. C’est avec un petit pincement au cœur que j’ai dû renoncer au concert de Cocaine Piss qui avait lieu au Bar’Hic et s’annonçait mortel. La programmation du vendredi soir au Mondo Bizarro étant dans une esthétique clairement noise et post-rock, styles musicaux que j’affectionne, cette soirée était donc clairement faite pour moi !
Ce sont les lyonnais de L’Effondras qui ont ouvert le bal. Enchaînant les sons à la fois aériens et puissants, le trio a tout de suite posé les bases d’une soirée qui s’est déroulée sous le signe de l’intensité. Musique à la fois minimaliste et organique, claire et noisy, L’Effondras m’a tout de suite fait pensé au fameux groupe de Chicago, Russian Circles, dans ce côté à la fois aérien mais également puissant des compositions. Enchaînant des parties qui s’apparenteraient à du drone, touchant au psyché au gré de sonorités orientales puis revenant sur les terres post-rock, le groupe perd son auditoire pour mieux l’ensorceler. L’avant dernier son du set touchait carrément à la transe. Je ne savais pas si je voulais partir le profond et la lourdeur avec la batterie ou t’envoler avec la guitare. C’est L’Âne Rouge, dernier morceau du set, qui a définitivement achevé de me convaincre. Ce son m’a clairement évoqué dans la rythmique, et l’aspect progressif, Station, de Russian Circles, avec des accents de Led Zep à l’orientale quant aux sonorités insufflées par la guitare. L’utilisation du bottleneck y apportait un accent très blues. Le morceau, bien que dynamique, commence piano. Mezzo. La cadence s’accélère, puis c’est l’explosion ! La ligne de basse se fait plus présente, calée à la perfection sur une batterie dont les vibrations nous transperçaient tout le corps. La guitare se faisait de plus en plus éthérée et aérienne à mesure qu’elle montait en décibels. Ce côté organique de la ligne de basse qui vraiment démontait, réussissait un instant à éclipser la batterie. La rythmique de celle-ci, de plus en plus syncopée, et tirant vers le math rock, ne faisait qu’accélérer de tempo. Re-glissement du bottleneck qui achevait de rendre le tout totalement magique! L’ascension continue, on est totalement ailleurs. La ligne de basse atteignait l’estomac tandis que la guitare emportait l’esprit vers les étoiles. Finalement la batterie ramenait au présent dont nous pouvions ainsi profiter pleinement. Un concert en trois dimensions donc : sensitive, spirituelle, et temporelle. L’Effondras est mon nouveau groupe préféré.
Il paraissait difficile de surpasser, du moins d’égaler le premier groupe. Le Réveil des Tropiques, groupe venant de Sigiriya, ou de Paris, c’est un peu flou, a cependant pris place sur scène sans démontrer trop de stress. Ce réveil des tropiques, nous l’espérions joyeux, en tous cas un joyeux bordel navigant entre noise, psyché, post-kraut-rock et free jazz. Et c’est effectivement le sourire aux lèvres que le quintet composé de quatre musiciens se soir-là, nous a littéralement promené vers les courants de la musique les plus inattendus. C’est par de la 8-bit music, que le groupe décide d’entamer le set. Pêle-mêle, au fil des morceaux interminablement courts, nous avons eu droit à des hurlements oscillants entre le dégoût et la transe, des échanges de sourires entre des musiciens complices et vraiment connectés, un petit tour du côté de Kraftwerk. D’ailleurs c’est ce son, démarrant depuis l’un des côtés les plus cool de l’Allemagne, qui soudain nous emmène, lorsque qu’un des zicos s’empare d’un saxo, non pas à la nouvelle Orléans, mais plutôt du côté du Sahara. Le martèlement cyclique des consoles accompagnant crescendo la batterie et va finir par exploser. Finalement dans cette lutte sonore, c’est le saxo qui reprend le dessus. Légèrement mélancolique, ce petit solo jazzy m’a rappelé le Love Theme de Blade Runner. La basse réapparait ensuite, et prend le dessus, de manière magistrale sur tous les autres instruments. Ensuite… je ne peux plus vraiment décrire exactement car mon attention, totalement prise au piège de cette improvisation diabolique, j’étais, comme toute la salle, totalement immergée dans cette transe noise post kraut rock aux accents psyché. Si L’Effondras était mon coup de cœur, c’est le Réveil des Tropiques, qui en terme de surprise, d’originalité et de sensations extatiques, était le concert de Bars en Trans à ne pas louper!
Les Phoenician Drive ont clos cette soirée sur une prestation très lourde, vaguant entre gros krautrock qui tâche et psyché ondulant. Les braves qui se sont excentrés pour cette soirée bien lourde n’ont pour sûr pas regretté leur choix. Le Mondo Bizarro, vendredi, c’est l’endroit où il fallait être pour vivre une expérience auditive immersive incroyable!