A l’approche des fêtes de noël me revient le souvenir de l’oncle Jimmy. Je ne l’ai su que très tard, mais c’était l’oncle Jimmy qui, lorsque j’étais enfant, se déguisait en père Noël le soir de la grande messe. J’adorais cahoter frénétiquement sur ses genoux, le minois enfoncé dans sa grande barbe blanche. Il me faisait ainsi sautiller deux trois fois sur ses larges cuisses, puis il me reposait par terre, lassé de ce jeu puéril. J’en voulais toujours plus, je voulais ma cavalcade annuelle, je criais encore, encore ! C’est alors qu’oncle Jimmy me fixait de ses grands yeux surplombés de ses sourcils épais et me disait d’un air grave : « Mon petit, dans la vie, toutes les bonnes choses ont une fin. Sauf le saucisson, qui en a deux ! »
Oncle Jimmy était un peu philosophe.
Mais il n’avait pas tort. Les Bars en Trans, c’est fini pour cette année. Et puisqu’il faut bien terminer d’une manière, terminons ainsi.
La soirée du samedi soir, c’est un petit peu la cerise qui fait déborder le gâteau du vase, ou pour le dire de manière plus exotique : la famosa « Ultima Bitura » avant la « Mega Gueuldeboa ». Evidemment, ce n’est pas cette année qu’est apparue la fameuse exception censée confirmer la règle. C’était du chaud, c’était très froid, beaucoup plus froid que les autres soirs, et c’était samedi soir.
Tout commence par une immense file d’attente. Le thermomètre affiche zéro, le Backstage, lui, est complet. Une centaine de personnes espèrent impatiemment entrer au concert-des-concerts, à la soirée évènement du festival, que dis-je, le sacré graal des Bars en Trans : le set de Salut C’est Cool ! Ces pionniers de la Techno-philosophie (sons trashs et textes inspirés) attire les curieux et font venir à eux des fans insoupçonnés qui les appellent par leurs prénoms. Fort de mon badge all-access et de mon irrésistible sourire, je me fraie un chemin pour entrer, laissant derrière moi une foule enragée qui me houspille déjà. Pourquoi aurais-je le droit de les voir, moi, pauvre blogueur, alors qu’eux, groupies de toujours, n’atteindront sans doute jamais la billetterie qui leur permettra de caresser leurs idoles du regard ? Monde injuste…
Vous pensez que j’exagère, n’est-ce pas ? Qu’un groupe à l’allure si décalée, au style vestimentaire plus que douteux, aux chevelures si démodées, à la techno si débile et aux visages si jeunes, vous pensez qu’un tel groupe ne peux pas avoir de vrais fans ? Ah ouais !?
Petit florilège de ce que j’ai REELEMENT entendu à l’arrivée de Salut C’est Cool sur la scène (exceptionnellement, tout ce qui suit est résolument authentique, je vous assure):
« Waouh! Ils sont là ! Oh j’y crois pas ! » / « Un vrai rebelle ! » / « Quel sex-appeal ! » / « Il est trop mignon ! » / « Tout me plaît ! Tout ! » / (Un des chanteurs vient me voir, je l’ai interviewé deux heures avant, puis remonte sur scène) « Vous le connaissez ? Vous pouvez me dire des choses sur lui ? » / « Il est hors du temps, hors de l’espace, hors de lui-même ! » / « Oh, ça me fait bizarre de les voir en vrai. C’est trop cooooool ! » / « Je voudrais tellement avoir une photo de lui! » / « Quelle agilité, quelle star, quel homme ! » / « J’aime bien son pantalon, très serré, mmmh. » / « Ooooooh Choupinou ! » / « J’y crois pas, j’ai presque touché sa jambe » / etc., etc.
Alors, convaincu ? Sérieusement, ces gars-là entretiennent quelque chose de très fort avec leur public. A vrai dire, ils passent une bonne moitié de leur propre concert en dehors de la scène, à danser avec la foule, se relayant, comme ça, à tour de rôle. L’autre moitié, c’est le public qui est invité à danser sur la scène. Un bordel, je vous raconte pas. Comme s’il n’y avait pas de raison que ça soit eux sur scène, plutôt que d’autres. Comme s’ils n’y croyaient pas vraiment à ce qui leur arrive. On les regarde, et on pense à quatre jeunes gars qui s’amusaient bien dans leur délire et qui se sont retournés un jour, surpris qu’il y ai tant de monde à les suivre.
J’ai moi-même été surpris de réaliser que ces mecs-là sont en fait très touchants. Ils dégagent tellement de décalage et de second-degré qu’on les imagine dans la déconnade permanente, inaptes à tenir une conversation normale. Didier Super fois quatre, en quelque sorte. Ce n’est pas vrai du tout. Ils vous parlent avec une sincérité désarmante, presque gênés de devoir répondre à des questions qu’ils prennent avec sérieux. Des gars épatants, voilà tout. Les mauvaises langues n’ont qu’à la ravaler, Salut C’est Cool porte définitivement bien son nom.
Et puis il y a les autres groupes. Ce soir-là, je n’en ai vu aucun. Rien, zéro, le néant, macache, walou, que t’chi, nada. Aucun groupe ! Que ma boss veuille bien me pardonner, j’étais trop occupé à faire ma propre tournée d’adieu. Enfin mes tournées, pour être précis. Tournée des bars, puis tournée générale, puis le monde qui s’est mis à tourner autour de moi et finalement moi qui me suis mis à tourner de l’œil. Heureusement que j’avais pris des notes sur Salut C’est Cool, parce qu’alors, pour ce qui est de la suite…
Le vin servi au cathering, ça pique un peu …
Je me suis réveillé dimanche, j’avais l’allure d’un esquimau shooté au kiss-cool fraîchement cryogénisé. Tapi au fond de mon lit à -2 degrés (ah les joies du camping en décembre!), je priais pour qu’arrive le bon gros saint-bernard et son tonnelet plein de réconfort, celui qui vient à la rescousse de ces aventuriers un peu fous pris dans les glaces de l’hiver alpin et que rien ne peut plus sauver désormais, si ce n’est une bonne rasade de gnôle, évidemment. Mais aucun toutou à l’horizon. Je dus retirer moi-même le givre sur mes sourcils et les stalactites tombant de mon nez.
Les Bars en Trans, c’est fini, et je ne suis pas encore décongelé.
C’est la fin.